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Robin Pla, l’Optimisation de la Performance, qu’est-ce que c’est ?
Robin Pla : L'optimisation de la performance d’un athlète c’est, dans l’univers du haut niveau, l’étude et l’amélioration de tous les compartiments de sa performance, c’est-à-dire des facteurs en particulier biomécaniques, physiologiques, mentaux, physiques, technologiques, stratégique, de chaque athlète, pour lui permettre de repousser ses limites.
Est-ce une science nouvelle dans le sport de haut niveau ?
Robin Pla : Ce n’est pas une science, ce sont des méthodes, des axes de recherches et par conséquent des propositions de solutions qui font appel à des agrégats de connaissance scientifiques. Pendant longtemps, on s’est plus attaché à vouloir trouver de la performance qu’à décortiquer tous les facteurs qui la constituaient. On voulait de la réponse, mais on ne posait pas les questions ! Puis on a commencé à parler d’« expertise de la performance ». Au début des Années 2000 enfin, le mot « optimisation » est apparu entre guillemets, au détour de certaines études, notamment à l’Insep. Aujourd'hui, la grande majorité des nations, des athlètes, travaille le sujet.
On n’a pas de tout temps cherché à optimiser la performance de l’athlète ?!
Robin Pla : Etre plus performant est depuis la nuit des temps une préoccupation de l’Homme, sportif ou pas. En matière de sport de compétition, améliorer ses performances a toujours été l’enjeu du compétiteur qui se confronte aux autres, au chronomètre, ou à une mesure quelle qu’elle soit, et dont l’objectif est d’être le meilleur. Mais la notion d’optimisation de la performance va plus loin. On a commencé à parler d’optimisation de la performance dès lors que, notamment dans certains sport où les performances se resserraient, on a disséqué le résultat de l’athlète pour examiner de quoi elle était précisément faite et comment, en travaillant chacun de ses éléments, on pouvait retrouver des marges de progression. Chaque geste sportif est une somme d’éléments qui forment un tout. En améliorant chacun d’entre eux, on peut améliorer le tout. On s’attache évidemment à étudier en priorité les éléments qui sont porteurs des plus gros potentiels de progression.
Comment devient-on responsable de l’Optimisation de la Performance à la Fédération Française de Natation ?
Robin Pla : J’ai commencé par aimer et pratiquer beaucoup de sports : la natation bien sûr, mais aussi le ski de fond, le VTT, le handball, le rugby,… Je n'avais pas forcément l'ambition de faire du haut niveau, par contre j'adorais les données, l’analyse. Je pense que cela vient de mon père qui roulait beaucoup en vélo et qui, depuis tout petit, notait toutes ses sorties, tous ses kilomètres. Sans le vouloir, je pense qu’il m’a beaucoup influencé. Quand j’étais môme, à l’occasion du Tour de France, je découpais les articles de l'Équipe, je les mettais dans un cahier, je regardais les temps, j'imaginais ce qu’il pouvait se passer le lendemain… La science, l’analyse, au service de la performance sportive, il est devenu de plus en plus clair pour moi que c’était ma voie.
C’est comme cela que vous avez orienté vos études ?
Robin Pla : Plus j’ai avancé et plus c’est devenu une évidence. J’ai réussi à intégrer à l’Insep le Master qui s’intitulai à l’époque « Sport expertise et performance de haut niveau ». Derrière ce terme générique, il y en avait déjà pour moi un autre : l’optimisation de la performance. Et c’est ce qui a guidé mon envie de faire ensuite une thèse que j’ai réalisée au sein de la Fédération Française de Natation. Avec le Directeur Technique National de l’époque, nous avons renommé le « Service Recherche » de la fédération en « Service d'Optimisation de la Performance ». Je n'aime pas forcément faire de la terminologie, mais elle a parfois son importance. Là, c’était le cas. Nous avons ainsi mis des mots sur des choses et engagé un nouveau processus.
La Fédération Française de Natation compte six grandes familles de disciplines. Touchez-vous à toutes ?
Robin Pla : Nous sommes impliqués principalement sur la natation course. Mais, peu à peu, nous commençons à intervenir sur toutes les disciplines, y compris le water-polo, l’eau libre et, dernièrement, le plongeon qui demande un niveau d’expertise très pointu ! Pour moi, c’est essentiellement de la biomécanique. La biomécanique, en natation course on connaît bien. Mais en plongeon, c’est beaucoup plus compliqué. Je ne suis pas sûr que quelqu’un en France ait vraiment travaillé le sujet. Au nombre des projets pour accompagner les plongeuses et les plongeurs, nous voudrions mettre en place une intelligence artificielle du plongeon. Un programme qui pourrait, à l’issue d’un plongeon, dire à l’athlète ce qui était bien, pas bien, ce qu’il faudrait améliorer et comment. C'est assez ambitieux, mais on a démarré le projet. Assez rapidement, on doit équiper de caméras spéciales la fosse de plongeon de l'Insep pour faire de la prise de vue rapide, et y coupler un système d’évaluation. On avance !
Quelle que soit la discipline, la performance touche à l’intime de l’athlète. Et il est sans doute compliqué de pénétrer cette intimité…
Robin Pla : Oui, il faut arriver sur la pointe des pieds. Etre patient, tisser la relation. Il faut commencer par écouter et comprendre les besoins. Ceux de l’athlète et ceux de son entraîneur. En natation, l’entraîneur est un personnage peut-être encore plus essentiel que dans d’autres sport car il ne quitte pas le nageur, il est en permanence au bord du bassin. Donc, nous nous adressons à un duo.
Qu’attendent-ils de vous ?
Robin Pla : Le besoin est parfois exprimé, parfois il ne l’est pas. C’est alors à nous d’apporter des réponses à des questions que l’on ne nous pose pas ! C’est à nous de deviner, d’explorer, de « scanner » l’athlète, de balayer un à un les compartiments de sa performance pour savoir où nous pouvons intervenir avec efficacité. La clef, c’est de ne pas trop proposer, d’avancer par petites touches et, surtout, de ne rien imposer.
Qu’est-ce que l’on optimise et comment ?
Robin Pla : Nous avons segmenté la performance d’une nageuse ou d’un nageur en une douzaine de « piliers ». On commence par le métabolisme et la physiologie, pour sonder les capacités notamment énergétiques de l’athlète : voir si sa VO2 est bonne ou s’il faut la faire évoluer, ses taux de lactate,… Il y a un volet biomécanique pour évaluer le geste technique. Une séquence de tests physiques qui permet une évaluation des capacités brutes de l’athlète. Nous regardons également l’alimentation et la diététique. Nous avons aussi un pilier « sommeil ». Et puis un pilier « données », au sens large, qui nous conduit à travailler la mise en forme et en exploitation des informations – car rien ne sert de collecter une foultitude d’infos si l’on ne sait pas quels enseignements en tirer ! On compile donc, on croise, on met en perspective sur une même plateforme, nos spécialistes en tirent des tableaux, des schémas, désormais avec l’aide de logiciels d’IA pour aller plus vite en croisant plus d’informations. On analyse aussi les courses et les matchs que l’on filme pour numériser ensuite l’attitude dans l’eau, comme par exemple les « coups de bras ». D’où l’importance du pilier « vidéo », destiné à développer les bons outils de capture. On a évidemment aussi un pilier « détection », destiné à identifier et estimer les potentiels. Voilà nos axes de recherches principaux.
Le matériel, les maillots, les bonnets, les lunettes, sont-ils touchés par vos analyses d’optimisation ?
Robin Pla : Ce n’est pas un pilier d’optimisation pour le moment. Contrairement à mes collègues des Fédérations de ski, de vélo ou d’athlétisme qui travaillent beaucoup à l’optimisation du matériel, nous y sommes bien sûr attentifs, mais nous laissons ces points aux équipementiers.
Y-at-il un tronc commun d’optimisation de la performance ou faut-il personnaliser chaque optimisation en fonction de l’athlète ?
Robin Pla : Tout a un impact sur la performance. Mais c’est en discutant avec les entraîneurs et les athlètes que l’on sait peu à peu sur quels piliers travailler en priorité, dans quel sens procéder. Renforcer les points forts plutôt que d’éliminer les points faibles ? L’inverse ? Je n’ai pas de doctrine. Un exemple concret : Léon Marchand, dans les coulées, est le meilleur. Dans la partie nage en revanche, ce n'est pas forcément lui le meilleur. La question se pose donc de la manière suivante : faut-il qu’il améliore encore ses coulées pour creuser encore plus d'écarts, ou faut-il qu’il améliore sa nage ? Il n’y a pas de réponse doctrinale à cette question. Je sais en revanche que si on n’est pas bon un minimum en coulée, on ne sera jamais médaillé olympique ! Chaque cas à traiter est un cas particulier. On essaie donc d’individualiser nos analyses et nos recommandations. Au-delà, je pense que les entraîneurs ont une bonne vision de ce sur quoi il faut appuyer pour progresser. Le plus difficile reste d’estimer le potentiel de l’athlète.
Une fois l’évaluation faite et les proposions faites, vous accompagnez les nageurs sur leur préparation physique ?
Robin Pla : Pour l'instant, nous nous en tenons à la partie tests + propositions. La partie préparation physique, c'est de l'entraînement. En optimisation de la performance, on n'a pas forcément vocation à piloter ça. Mais je n'ai pas un avis tranché, ni définitif, sur la question.
Les nageurs changent-il facilement leur manière d’aborder la performance, leur mode d’entraînement ou de préparation, voire leur mode de vie ?
Robin Pla : Les nageurs changent plus facilement parfois que les entraîneurs (rire) ! La jeune génération d’entraîneurs, qui sort souvent de l’université, est plus réceptive à nos travaux. Mais nos meilleurs ambassadeurs sont les nageurs qui sont convaincus par notre travail. Quand un champion du calibre de Florent Manaudou dit qu’il adhère à nos méthodes, évidemment les autres écoutent…
Quelles sont les grandes découvertes, les grandes recettes, de l’optimisation de la performance ?
Robin Pla : Il n’y a pas une grande ou plusieurs grandes découvertes, pas plus que des recettes miracles. L’optimisation de la performance c’est une manière analytique, scientifique, d’accompagner l’athlète. Mais cela ne se substituera jamais à son envie, à son plaisir, à sa motivation. En revanche, notre travail a mis en évidence que certaines méthodes, certains process, que l’on reproduisait par habitude, ne servaient pas à grand choses. Donc on se débarrasse petit à petit de ces trucs qui ne servent à rien, qui prennent du temps, fatiguent l’athlète, pour les remplacer par des choses utiles. Je n’en tire pas de conclusion mais on voit, en fonction des pays, des spécialistes du 100 m qui font 20 km à l’entraînement par semaine et qui ont à peu près les mêmes résultats que d’autres qui en font 70. Conclusion : le volume ne fait pas la performance.
L’optimisation de la performance est-elle pratiquée dans tous les grands clubs français ?
Robin Pla : Malheureusement non. Il n’y a pas un scientifique par club. Généralement, ils se partagent les quelques spécialistes que nous sommes. Mais il est difficile d’être efficace quand on voit très peu les nageurs - parfois seulement deux fois par an. Il faut faire attention à ce que l’on propose, c’est délicat.
Où si situe la France en matière d’optimisation de la performance par rapport aux autres nations ?
Robin Pla : Il est difficile de savoir ce que chacun fait. Pour moi, les plus en pointe sont les Australiens. Déjà parce que, à part les Etats-Unis, l’Australie est la meilleure nation du monde pour le nombre de nageurs de haut niveau rapporté à la population du pays. En termes de sciences du sport, ils sont très en avance. Dans chaque grand centre d’entraînement, il y a un biomécanicien, un physiologiste, un nutritionniste, en permanence au bord du bassin, tous les jours. Les Britanniques ont également un peu cette culture. Les Etats-Unis ? Honnêtement, je crois qu’ils ne font pas grand-chose ! Ils sont plus sur le coaching, la préparation mentale. Ils collectent un peu de données, mais j’ai l’impression qu’elles servent à nourrir le processus global, à jalonner – c’est en tout cas ce que j’ai observé avec Bob Bowman. Les Chinois, en revanche, font des trucs, mais on ne sait pas trop quoi ! Les Canadiens, eux, sont très bons sur la manière de construire des programmes d’entraînement et évaluer leur efficacité.
Chaque pays a-t-il une manière particulière d’aborder l’optimisation de la performance ?
Robin Pla : Les Japonais sont assez pointus sur l’analyse des courses. Les Australiens bossent beaucoup la physio, la nutrition. Nous, en France, on n’a pas fixé d’axe prioritaire. Cela dépend des périodes. Sous mon impulsion je crois, car j’avais fait une partie de ma thèse sur ce thème, on a commencé à beaucoup travailler la variabilité de la fréquence cardiaque qui permet de mesurer une partie de l’état de forme du nageur. Je crois que la France est désormais à la pointe sur ce sujet. Cela permet d’aborder des sujets connexes, notamment l’intensité et la quantification de la charge d’entraînement et la stratégie de récupération.
La préparation mentale est-elle un élément de l’optimisation de la performance ?
Robin Pla : Elle devrait l’être. Il est clair que c’est un élément à part qui ne se gère pas comme la préparation physique. Mais il faudrait plus l’intégrer dans nos protocoles. Il ne faut pas disjoindre le mental du physique car ils sont en interaction. Je ne veux pas généraliser mais, souvent, en tout cas en natation, les préparateurs mentaux travaillent à l’écart avec leurs athlètes. Il arrive même que l’entraîneur ne soit pas au courant de ce qui est fait, voire qu’il ne soit pas du tout informé que l’athlète en a un. C’est pourtant un facteur important qui attrait à la motivation, à la gestion du stress et des émotions, notamment l’anxiété. Or, et il est important de le dire, il faut un mental pour réussir. Nager à l’entraînement seul avant le lever du soleil et nager en finale olympique devant 20.000 personnes, dont ses amis et sa famille, ce n’est pas la même chose. Et ça se gère différemment.
La natation est un sport dur, exigeant, chronophage. L’optimisation de la performance propose-t-elle des solutions psychologiques pour rendre plus agréable les heures passées dans l’eau à aligner les kilomètres en « regardant le carrelage » ?
Robin Pla : Je vais vous dire : je connais beaucoup de nageurs qui, à mon avis, n’aiment pas trop nager. Ils sont là juste parce qu’ils sont bons. Et c’est un vrai problème en fait. Et je pense que l'on n'est pas suffisamment honnêtes avec eux pour leur dire « Écoute, OK tu es bon, mais si tu n'aimes pas ça, il faut que tu fasses autre chose. Si tu continues, il faut que tu sois capable d’accepter que gagner et être heureux sont parfois deux choses différentes… ». Le sport, même si un athlète est bon, voire très bon, ne doit pas le transformer en robot. Il faut que nous nous occupions mieux de la santé mentale des athlètes, de leur bien-être.
A partir de quelle catégorie d’âge faut-il optimiser la performance ?
Robin Pla : Pour moi, avant les juniors, touche pas aux athlètes. On détecte, à la rigueur on fait des tests, on enrichit notre compréhension, mais c’est tout. Et on n’y perd pas un temps que, de toutes façons, nous n’avons pas. En junior, on commence une sensibilisation utile. Si on habitue une nageuse ou un nageur de 17-18 ans à nager avec des capteurs, cela deviendra naturel pour elle ou lui ensuite. Mais cela ne devra jamais passer avant le plaisir. Faire du sport, c’est jouer, se faire plaisir, partager du plaisir. Et c’est cela qu’il faut avant tout optimiser !